L'histoire de Nelligan n'est plus un secret pour personne. Tous ont déjà entendu parlé de ce jeune homme qui durant trois années de sa vie s'est dévoué corps et âme à sa poésie. Tous connaissent la tendresse de sa mère et le mépris de son père face à son art. Cependant, j'ai décidé de vous raconter cette histoire d'une façon toute particulière, en y mettant un peu de moi, un peu de ma fantaisie, en y racontant des anecdotes et en vous référant à plusieurs sections de ma page dédiée à ce grand poète. Cette histoire est en fait une visite guidée à travers la passion que j'ai pour ce poète...

La mère du poète, Emilie Amanda Hudon , est née dans la magnifique ville de Kamouraska le 4 mai 1856. Fille de Emilie Julie Morisette et de Joseph-Magloire Hudon, maire de Rimouski, elle faisait partie de la bourgeoisie de l’endroit. Pianiste et élève en traduction (anglais-français), elle était toute destinée au déchirement entre son futur mari, David Nelligan et son fils Emile. Quant à son père, David Nelligan, il est né à Dublin, en Irlande, le 11 juillet 1848. En 1856, les Nelligan quittent l’Irlande pour Montréal. David travaillera dès 1867 au bureau de poste de Montréal . A partir de 1870, on lui demande fréquemment d’aller voir le fonctionnement des bureaux de poste en Gaspésie. C’est à cette occasion qu’il rencontre Emilie, l’été de 1874. Leur destiné devait s'unir à la cathédrale Saint-Germain de Rimouski , le 15 juin 1875. Le couple s’installera chez les parents de David pendant sept ans, au 602 rue de la Gauchetière.

Émile Nelligan est né un 24 décembre de l'an 1879, à Montréal, soit 98 ans, 2 mois et 7 jours avant que je vois le jour. Il sera baptisé le lendemain, jour de Noël, à l’église Saint-Patrice . Le couple aura par la suite deux autres enfants : Eva (née le 29 octobre 1881) et Gertrude (née le 22août 1883).

La famille Nelligan a habité successivement à deux adresses de la rue Laval : au numéro 112 de 1886 à 1892 et au numéro 260 à partir de 1892. Nelligan aura dans les deux cas une chambre à l’étage, donnant sur un balcon. Durant ses courtes études, Emile Nelligan fréquentera plusieurs établissements scolaires . Ceci s’explique du fait qu’Émile Nelligan était un bien piètre élève. Il préfère rêver, écrire et errer dans la ville plutôt qu'ouvrir ses livres d'écolier. Ces comportements chagrinent sa pauvre mère et il en est fort repentant. Dans le poème Premiers remords il en fait d'ailleurs mention. Il est à noter que le dernier vers, "Depuis, je fus toujours le premier à l'école" est totalement faux. En effet, Nelligan quittera définitivement les salles de cours en mars 1897, à l'âge de 17 ans. Furieux, son père lui trouve vite un métier de comptable que Nelligan laisse évidemment après seulement quelques jours. Ensuite, et on ne sait pas exactement pourquoi, si c'est pour faire une fugue ou parce que son père l'aurait confié à un capitaine, mais Nelligan s'engage comme marin et part pour l'Angleterre et l'Irlande d'où il reviendra après seulement deux mois. Il ramène avec lui une multitude de descriptions marines qui nourriront son célèbre poème Le Vaisseau d'or...

Très tôt, Nelligan se passionne pour la musique . Sa mère, une pianiste de talent, est la seule qui le comprit vraiment et qui le défendit lors des disputes qu’il avait souvent avec son père. C'est elle, aussi, qui le 6 avril 1896 l'amène voir son premier concert à la salle de réception de l’hôtel Windsor . Ce soir-là, Ignace Pederewski fait revivre pour le poète « l'âme du grand Chopin ». Nelligan aime la musique autant que la poésie et pour lui, elle est une manière de vivre. Les poèmes Chopin et Mazurka en sont probablement les meilleurs exemples. C'est donc tout naturellement qu'il découvrira le lien qui existe entre le son et le mot. Il cherchera toujours à inclure dans sa poésie une musique verbale que l'on sent très bien lorsqu'il récite ses oeuvres. Le 29 décembre 1898, Nelligan participe à la première séance publique de l' Ecole Littéraire de Montréal où il récite trois poèmes. C'est le 26 mai 1899 que le poète récitera sa Romance du Vin au château Ramzay , poème qui soulèvera des applaudissements dignes d'une ovation! Ce soir là, Nelligan connu pour la seule et unique fois de sa jeune carrière, l'ivresse de la gloire...

De ses amours, nous ne savons que peu de choses. Bien entendu, les jeunes filles l'aimaient beaucoup (comment résister à un poète qui de plus est très bel homme?), mais lui, on dit qu'il aimait sa cousine Béatrice puis on parle d' Idola Saint-Jean , de Françoise - une soeur d'amitié - et de Gretchen, une jeune Allemande vivant, d’après Luc Lacoursière, près de chez lui, qu'il trouvait très jolie mais à qui il n'osa jamais parler. Toutes ces femmes ont fait naître chez lui un idéal féminin qu'il décrit en de nombreux poèmes dont Caprice blanc et Rêves enclos. Aussi, il faut savoir séparer ce que Nelligan considérait comme femmes idéales (sa mère, sainte Cécile), femmes réelles (ses sœurs, Idola St-Jean, Béatrice Hudon, Edith Larrivée , Robertine Barry - qui prend le pseudonyme de Françoise - ) et les femmes imaginaires comme Gretchen (dont on n’a pas pu prouver l’existence), l’idiote aux cloches, des passantes...

Au temps de Nelligan, les poètes, et ils étaient en très grand nombre, étaient tous un peu rigides. Ils écrivaient sur la religion, le terroir, la famille... C'est ce qui a fait dire à un contemporain de Nelligan: « Quel délassement ce fut lorsque Nelligan, en vers, voulu bien nous parler d'une négresse !» Ces deux poèmes sont rêves, soupirs, mais tristesse aussi. Des poèmes que je lis avec mélancolie... Enfin, lisez-les vous aussi: Fantaisie créole et Le tombeau de la négresse. Cette influence lui vient de ses rêveries, entre 1896 et 1897, avec son ami Arthur de Bussières : ils ont tous les deux le même idéal poétique, soit des décors exotiques, des paysages colorés, une forte mythologie, des vieux monastères...

Au début de 1899, Nelligan note son plan de recueil de poèmes, sous le titre de Récital des Anges. C'est d'ailleurs à ce projet qu'il se consacrera à présent, s'éclairant à la chandelle lorsque son père, exaspéré de le voir ainsi écrire, lui coupait parfois le gaz. Il se donne si bien à sa jalouse maîtresse qu'il en perd tout ses moyens. Il sombre de plus en plus dans la folie (dans ce que je me plaît à appeler mon monde). Il récite à tous et chacun les vers qui lui viennent à l'esprit, s'enferme le soir dans les chapelles, un endroit de prédilection. Il est interné le 9 août de la même année à la retraite Saint-Benoît-Joseph-Labre , à Longue-Pointe. Il n'écrira plus jamais... Sa dernière oeuvre, Figaro rouge, demeura inachevée. Plus tard, il sera transféré à l' hôpital Saint-Jean-de-Dieu , que l'on connaît aujourd'hui sous le nom d'hôpital Louis Hippolyte-Lafontaine. C'est à cet endroit qu'il perdra la vie, mais qu'il vivra enfin en paix, loin des tourments que la vie lui a apporté. Le 18 novembre 1941, Émile Nelligan, le poète, le génie, retourne dans son monde. On inhumera son corps quelques jours plus tard, le 21 novembre, au cimetière de la Côte-des-Neiges. C’est 25 ans plus tard, soit le 18 novembre 1966, que sera dévoilée la stèle de granit que l’on peut voir maintenant à ce même cimetière.