Le Suicide d'Angel Valdor

I Le vieil Angel Valdor épousait dans la nef, En Avril, sa promise aux yeux noirs, au blond chef. Le soleil harcelait de flèches empourprées Le vitrail, ce miroir des Anges aux Vesprées. Et partout, l'on disait en les voyant ainsi S'en aller triomphants, qu'ils vivaient sans souci, Que leur maison serait comme un temple au dimanche, L'amour officiant dans sa chasuble blanche. Le sonneur, en Avril, épousait dans la nef Sa jeune fiancée aux yeux noirs, au blond chef. II Il eut longtemps le coeur libre et joyeux Et les roses d'hymen printanisaient ses yeux. Il vécut des baisers trop menteurs d'une femme Jusqu'aux joursoù son coeur se prit de doute infâme. Il demandait du ciel plus d'un gars à l'oeil brun Qui le remplacerait quand il serait défunt, Et ferait bourdonner du haut de leurs tours grandes Les cloches qu'il sonnait comme nul dans les landes. Il eut quand vont le Mai le coeur libre et joyeux Et les roses d'hymen printanisaient ses yeux. III Mais en Juin, le sonneur devint sombre soudain. Au soir il s'en allait souvent dans le jardin, Pensif, se promenant plein de peine et de doute... On eût dit son convoi d'amour longeant la route Il confiait à l'astre un peu de tout son mal Plus noir que l'envol noir du corbeau vespéral. Les soucis, la douleur terrassaient son courage, Il se sentait gonfler de sourde et lente rage. En Juin ce fut pourquoi, comme cela soudain Il descendait au soir tout seul dans son jardin. IV Le sonneur en Octobre eut son amour fané Et s'en alla l'oeil fou comme un halluciné. Son épouse adultère ah! la folle hirondelle! Avait fui jà son âtre, au serment infidèle, Encercueillant l'amour du vieil Angel Valdor Qui marchait dans la vie avec un grand coeur mort, Lui laissant la maison silencieuse et vide Pour les bouges lointains de la ville livide. À l'Octobre funèbre il eut l'amour fané Et les macabres pas d'un pauvre halluciné. V Après avoir sonné l'Angélus quelque soir, Valdor prit l'escalier qui mène au clocher noir. Du bruit de ses sabots l'écho se fit des râles Rauques parmi les tours sous les étoiles pâles. La basilique avait senti frémir ses flancs Et ses vitraux étaient comme des yeux sanglants, Et les portes grinçant sur leur gonds de ferrailles Avaient comme un soupçon du glas des funérailles. Il sonna trois accords brusquement par ce soir Où le sonneur monta dans l'affreux clocher noir. VI Et Novembre est tombé dans les affligements!... Voici le roman noir que je pleure aux amants... L'archevêque au matin montant aux tours maudites Y resta longuement, les forces interdites, Devant le corps pendant aux câbles du du beffroi, Devant le corps crispé du pauvre sonneur froid. Le prêtre prononça des oraisons étranges Pour cette âme enroulée aux doigts des Mauvais Anges, Pour le sonneur et pour l'épouse au coeur de fer Dont Valdor dit le gals aux cloches de l'Enfer. [Extrait de Soirs de Névrose]