Le Spectre

Il s'est assis aux soirs d'hiver En mon fauteuil de velour vert Près de l'âtre, Fumant dans ma pipe de plâtre, Il s'est assis un spectre grand Sous le lustre de fer mourant Derrière mon funèbre écran. Il a hanté mon noir taudis, Et ses soliloques maudits De fantôme L'ont empli d'étrange symptôme. Me diras-tu ton nom navrant, Spectre? Répond-moi de cela franc, Derrière le funèbre écran. Quand je lui demandai son nom, La voix grondant comme un canon, Le squelette Crispant sa lèvre violette, Debout et pointant le cadran, Le hurla d'un cri pénétrant, Derrière mon funèbre écran. Je suis en tes affreuses nuits, M'a dit le Spectre des Ennuis, Ton seul frère. Viens contre mon sein funéraire, Que je t'y presse en conquérant. Certe à l'heure, j'y cours, tyran, Derrière mon funèbre écran. Claquant des dents, féroce et fou, Il a détaché de son cou Une écharpe, De ses doigts d'os en fils de harpe, Maigres, jaunes comme safran, L'accrochant à mon coeur son cran, Derrière le funèbre écran. [Extrait de Soirs de Névrose]