Musiques Funèbres

Quand, rêvant de la morte et du boudoir absent, Je me sens tenaillé des fatigues physiques, Assis au fauteuil noir, près de mon chat persan, J'aime à m'inoculer de bizarres musiques, Sous les lustres dont les étoiles vont versant Leur sympathie au deuil des rêves léthargiques. J'ai toujours adoré, plein de silence, à vivre En des appartements solennellement clos, Où mon âme sonnant des cloches de sanglots, Et plongeant dans l'horreur, se donne toute à suivre, Triste comme un son mort, close comme un vieux livre, Ces musiques vibrant comme un éveil de flots. Que m'importent l'amour, la plèbe et ses tocsins ? Car il me faut, à moi, des annales d'artiste ; Car je veux, aux accords d'étranges clavecins, Me noyer dans la paix d'une existence triste Et voir se dérouler mes ennuis assassins, Dans le prélude où chante une âme symphoniste. Je suis de ceux pour qui la vie est une bière Où n'entrent que les chants hideux des croquemorts, Où mon fantôme las, comme sous une pierre, Bien avant dans les nuits cause avec ses remords, Et vainement appelle, en l'ombre familière Qui n'a pour l'écouter que l'oreille des morts. Allons ! que sous vos doigts, en rythme lent et long Agonisent toujours ces mornes chopinades... Ah ! que je hais la vie et son noir Carillon ! Engouffrez-vous, douleurs, dans ces calmes aubades, Ou je me pends ce soir aux portes du salon, Pour chanter en Enfer les rouges sérénades ! Ah ! funèbre instrument, clavier fou, tu me railles ! Doucement, pianiste, afin qu'on rêve encor ! Plus lentement, plaît-il ?... Dans des chocs de ferrailles, L'on descend mon cercueil, parmi l'affreux décor Des ossements épars au champ des funérailles, Et mon coeur a gémi comme un long cri de cor !... [Extrait de Soirs de Névrose]