Le Cercueil

Au jour où mon aïeul fut prit de léthargie, Par mégarde on avait apporté son cercueil; Déjà l'étui des morts s'ouvrait pour son accueil, Quand son âme soudain ralluma sa bougie. Et nos âmes, depuis cet horrible moment, Gardaient de ce cercueil de grandes terreurs sourdes; Nous croyions voir l'aïeul au fond des fosses lourdes, Hagard, et se mangeant dans l'ombre éperdument. Aussi quand l'un mourrait, père ou frère atterré Refusait sa dépouille à la boîte interdite, Et ce cercueil, au fond d'une chambre maudite, Solitaire et muet, plein d'ombre, est demeuré. Il me fut défendu pendant longtemps de voir Ou de porter les mains à l'objet qui me hante... Mais depuis, sombre errant de la forêt méchante Où chaque homme est un tronc, marquant son souci noir, J'ai grandi dans le goût bizarre du tombeau, Plein du dédain de l'homme et des bruits de la terre, Tel un grand cygne noir qui s'éprend de mystère, Et vit à la clairté du lunaire flambeau. Et j'ai voulu revoir, cette nuit, le cercueil Qui me troubla jusqu'en ma plus ancienne année; Assaillant d'une clé sa porte surannée, J'ai pénétré sans peur en la chambre de deuil. Et là, longtemps, je suis resté, le regard fou, Longtemps, devant l'horreur macabre de la boîte; Et j'ai senti glisser sur ma figure moite Le frisson familier d'une bête à son trou. Et je me suis perché pour l'ouvrir, sans remord Baisant son front de chêne ainsi qu'un front de frère, Et, mordu d'un désir joyeux et funéraire, Espérant que le ciel m'y ferait tomber mort. [Extrait de Vespérales funèbres]